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Un mardi avec Mallarmé : les premiers amours du poète

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, les premiers amours de Mallarmé sont mis en lumière grâce à sa correspondance.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Lettre à Maria Gerhard, juillet 1862

Un coup de foudre pour Marie

En 1862, Stéphane Mallarmé à 20 ans et étudie l'anglais à Sens, c'est à cette époque qu'il rencontre une jeune gouvernante allemande, Maria Gerhard dite Marie, pour laquelle le poète a un véritable coup de cœur. Le temps d'un été, il fait une cour effrenée à sa belle qui semble dans un premier temps résister à ses avances...

      Mademoiselle,

Voici plusieurs jours que je ne vous ai vue.

A mesure qu'une larme tombait de mes yeux, il était doux à ma tristesse que je prisse une feuille de papier et que je m'efforçasse d'y traduire ce que cette larme contenait d'amertume, d'angoisse, d'amour, et, je le dirai franchement, d'espérance.

Aujourd'hui, elles ne sont plus faites que de désespoir.

Ces lettres, je les gardais et je les entassais chaque matin, pensant vous les remettre et osant croire, non pas que vous les liriez toutes, mais simplement que vous jetteriez les yeux au hasard sur quelques phrases, et que de ces quelques phrases monterait à vous cette clarté qui vous enivre et qu'on refuse lorsqu'on est aimé. 

Ce rayon devait faire ouvrir en votre cœur la fleur bleue mystérieuse, et le parfum qui naîtrait de cet épanouissement, espérais-je, ne serait pas ingrat. 

Je le respirerais. On l'appelle amour, ce parfum. 

Aujourd'hui, la désillusion est presque venue et j'ai brûlé ces lettres qui étaient les mémoires d'un cœur. Du reste, elles étaient trop nombreuses, et cela vous eût fait rire de voir que je vous aimais tant.

Je les remplace ces sourires et ces soupirs par ce papier banal et vague que je vous remettrai je ne sais quand et Dieu sait où. Toute la gamme de ma passion ne sera pas scrupuleusement notée, comme elle l'était : je me contenterai d'écrire ici les phrases qui sont toute son harmonie :

Je t'aime. Je t'adore. Je t'idolâtre.

Pardonnez-moi, ô ma reine, de vous avoir tutoyée dans cette litanie extatique. C'est que, voyez-vous, je suis comme fou et égaré depuis quelques jours. Quand une flèche se plante dans une porte, la porte vibre longtemps après : un trait d'or m'a frappé, et je tremble, éperdu. Retirez-le ou enfoncez-le plus avant, mais ne vous amusez pas à en fouiller mon cœur. Dites oui ou non, mais parlez. Répondez. Cela vous amuse donc bien de me faire souffrir ? Je pleure, je me lamente, je désespère. Pourquoi cette sévérité ? Est-ce un crime de vous aimer ? Vous êtes adorable et vous voulez qu'on vous trouve détestable, car il faudrait vous trouver détestable pour ne pas vous aimer — vous qui êtes un regard divin et un sourire céleste !

Vous êtes punie d'être un ange : je vous aime. 

Pour me punir à mon tour de vous aimer, il faudrait n'être plus un ange, et vous ne le pouvez pas. Donc laissez-moi vous contempler et vous adorer — et espérer. 

Adieu, je vous embrasse avec des larmes dans les yeux : séchez-les avec un baiser ou un sourire au moins...

J'irai encore vous voir au lycée : je suis heureux de vous voir, même de loin ; il me semble quand vous tournez la rue, que je fois un fantôme de lumière et tout rayonne...*

Extrait du poème Apparition

Dans le poème Apparition*, qui ne paraîtra que vingt ans après sa composition, Mallarmé écrit ces vers qui ont sans doute inspiré sa lettre à Marie :

J'errai donc, l'œil rivé, sur le pavé vieilli

Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue

Et dans le soir, tu m'es en riant apparue

Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté...

Deux mois plus tard, le poète confie à son meilleur ami Henri Cazalis ses sentiments pour la jeune femme : 

Ce qui m'attire vers elle, c'est quelques chose de magnétique et qui n'a pas de cause apparente. Elle a un regard à elle qui m'est une fois entré dans l'âme, et qu'on ne pourrait en retirer sans me faire une blessure mortelle.

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Ettie Yapp

Découvrez la suite des premiers amours du poète !