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Un mardi avec Méry : la muse de Mallarmé (suite)

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, la poésie est à l'honneur avec celle qui fut la muse de Mallarmé : Méry Laurent.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Les lettres à « Paon » 

Pendant quinze ans, de 1884 à sa mort, le poète écrivit à sa muse Méry Laurent. De cette riche correspondance, près de 245 lettres sont parvenues jusqu'à nous, publiées en 1996 chez Gallimard sous la direction de Bertrand Marchal, Professeur émérite de littérature française à la Sorbonne et spécialiste de Mallarmé. 

Ces échanges révèlent l'intimité et l'affection nouées au fil des années entre la mondaine et le prince des poètes. En 1897, Méry vient même découvrir la maison de Valvins, pour le plus grand bonheur de Mallarmé, ravi de faire découvrir son « pays natal » à celle qu'il surnomme affectueusement son « petit Paon ». 

 

 

  • Lettre du 18 mai 1897

Valvins, Mardi matin

Que ce baiser te suive, grande, chère et bonne. Tu es venue effacer de ta belle joie le seul défaut qu'avait, pour moi, Valvins à bien des heures, celles où l'on écoute tout son cœur secret, c'était que tu ne le connusses pas. 

Maintenant ta présence y est partout, Méry tendre et qui si vite te répands où tu viens, tout sourire. Je sens bien que parfois j'éprouverai le chagrin de t'en savoir partie ; mais vite et ta présence de samedi à ce matin régnera, puissante et très douce. Il y aura de toi aux Plâtreries1, quand, du pas de ma porte, je regarderai de leur côté — de toi, sur ma bergère et dans les yeux de Lilith2. Tu n'es plus étrangère à la forêt ni à la rivière. Voilà ce que je veux que tu sentes et ma gratitude, en te couchant, ce soir, avec ce baiser de ton

STÉPHANE M. 

1.Située de l’autre côté de la Seine, dans le village de Samois-sur-Seine, l'auberge aux Plâtreries a été fréquentée par Victor Hugo et Chateaubriand. C'est là aussi que Mallarmé fait loger ses amis près de sa maison de Valvins. 2Le chat de la famille Mallarmé. 

 

  • Lettre du 24 mai 1897

Valvins, Lundi

Grand cœur, crois bien que, non plus, je n'ai pas cessé de penser à toi, de la journée, hier et de vivre huit jours en arrière. Je crois que pas une heure de cette première rencontre charmante ne sortira de notre souvenir. [...]

Le mât du canot se dresse maintenant au pied de la berge ; nous avons fait, mon visiteur3 et moi, une promenade à voile par le même grand vent et tu devines si je regardais la fenêtre tienne aux Plâtreries, en passant devant et en voulais au piano de jouer autre chose que cet étang.[...]

Lilith, dormeuse, et vagabonde alternativement, te remercie ; le fait est qu'elle n'a pas revomi son lait. Tu es une doctoresse même pour les minets. 

Une charmeresse, pour gens, Méry ; je n'ai jamais tant songé à toi, tout le long des jours.

Stéphane Mallarmé

À bientôt, nous causerons de vive voix du projet : Baraduc est excellent. On vend aujourd'hui la maison voisine et le vieil agacement, que tu sais, me revient. Je te bécotte fort, pour oublier cela. Bonjour, Élisa4 : les boutons d'or grandissent encore. Je vois le coin fleuri de « notre » salle à manger, Boulevard Lannes5.

Ton SM

3. Paul Valéry. 4. Élisa Sosset, la femme de chambre et protégée de Méry Laurent. 5. Adresse parisienne de Méry qui habitait au 9 Boulevard Lannes dans le 16e arrondissement.

 

  • Lettre du 12 octobre 1897

Valvins, Mardi

Tu veux donc ton baiser du matin, rue de Rome, petit Paon qui ne me laisses pas te l'envoyer de moi-même. Alors j'obéis, Madame, tendrement. [...]

Je ne sais pas si Rodin qui m'avait, cet été, annoncé sa visite, viendra Dimanche prochain ni quel temps il fera ; mais ce sera évidemment, notre dernière réception. Le dernier Dimanche que ces Dames6 passeront à Valvins. Moi, je te ferai, très probablement le sacrifice de Novembre, encore que je frémisse à l'idée de redevenir prisonnier de ma cellule, trop petite pour y bouger, pendant des mois et de refaire connaissance avec la pauvreté et les omnibus. Toi seule peux me faire oublier, mon paon, ces hideurs ! Quant à l'instant même, avec ce rhume qui a le dessus toujours, je ne me sens pas de force à reprendre l'existence parisienne, tout de suite de tracas : j'ai en outre, auparavant, à remplir quelques engagements de travail sans lesquels je ne puis aborder l'hiver et, de jour en jour, je remets, à cause de mon bête d'état.

Tout cela, qu'il faut pour me retenir, est bien sérieux, tu vois. Je mets donc encore, pour quelques instants, des cartons entre ta joue et mon baiser et tu sais si j'y perds, à cette heure de ton joli réveil dans ton chez-toi de ville. Je voudrais que cet appuiement de lèvres même lointain conjurât toute souffrance au futur et te fît souriante.

Ton STÉPHANE M. 

6. Marie et Geneviève Mallarmé, la femme et la fille du poète. 

 

  • Lettre du 27 avril 1898

Valvins, Mercredi 

Bonsoir, petit Paon. J'ai fait, hier, notre promenade de la berge  ; mais pas par même un quart de lune, le plus fin des croissants. À son plein, tu viendras. Madame Perrier, aux aguets, toujours, pour me vendre plusieurs maisons, n'a pas manqué de me demander quand Madame Méry Laurent, si aimable, visitera les Plâtreries : j'ai répondu quand le printemps éclatera, boules de neige et lilas et qu'un soleil continu aura séché et tiédi l'auberge. J'entends d'avance les exclamations devant Princess7. Ma pensionnaire Lilith me préfère les chats pour quelques jours encore ; mais se lassera et me trouvera ensuite du charme. [...] Donne-moi, toi, des nouvelles des Talus8 et dis, surtout, et que ce soit vrai, comme tu te portes bien. J'ai essuyé un reste d'influenza, traînant encore par ici ; ou je ne comprends rien à ma lassitude. La maison n'est pas froide et je brûle force bûches.

Ce soir, je devrais être dans une chambre Louis XVI, rose, sur un certain boulevard ; et je t'embrasse de loin.

Ton STÉPHANE MALLARMÉ

7. La chienne de Méry. 8. Nom de la demeure de Méry : Villa des Talus, 9 Boulevard Lannes. 

 

Le testament de Méry Laurent

Jusqu'à la mort de Mallarmé, la « cocotte » et le poète resteront unis par un lien indéfectible. Dans un premier testament qu'elle rédige en 1891, Méry prévoit même de lui léguer tous ses tableaux de Manet ainsi qu'une rente à sa fille Geneviève : 

Ceci est mon testament.
J’institue pour ma légataire universelle en usufruit (Mlle Elisa Sosset, ma femme de chambre) et pour légataire universelle en nue propriété, la société de l’Orphelinat des Arts établie à Paris le tout à la charge d’exécuter les legs particuliers ci-après. [...] Mlle Geneviève Mallarmé, 89 rue de Rome 1200 cent francs de rente  – 

à son père M. Stéphane Mallarmé, tous mes tableaux de Manet, rue de Rome et les objets qui lui rappelleront un souvenir de moi et qu’il désirerait, je prie Elisa Sosset de les lui donner.

Méry Laurent

En 1896, elle ajoute une nouvelle clause au profit de son « très cher ami » : « À mon très cher ami Monsieur Stéphane Mallarmé dix mille francs de la main à la main en espèce et sans frais. Il s'entendra avec Elisa Sosset pour laisser un souvenir aux amis ou amies qui en désireraient un et, que j'aurais pu oublier ».

Après la disparition prématurée du poète en septembre 1898, Méry Laurent modifie son testament deux mois plus tard, en novembre 1898. Les tableaux de Manet reviennent désormais à Victor Margueritte, petit cousin de Mallarmé et dernier coup de cœur de la demi-mondaine. La fille du poète demeure toujours dans ses légataires ce qui démontre une nouvelle fois tout l'attachement de Méry pour Stéphane  : « À Mademoiselle Mallarmé mon argenterie et vint mille francs en souvenir de l’affection que son père m’a témoignée, 89 rue de Rome. »

Suite au legs, cette sublime argenterie, monogrammée des initiales entrelacées de Méry, est toujours restée dans la famille, auprès des héritiers de Geneviève puis de son mari Edmond Bonniot. Actuellement en dépôt au musée, nous espérons pouvoir vous présenter prochainement ces nouveaux trésors à l'occasion de la réouverture de la maison du poète. 

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