Actualités

Un mardi avec Julie Manet : l'escadron volant (suite et fin)

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, découvrez le dernier épisode des aventures de l'escadron volant à Valvins avec Julie Manet.

Date de publication de la page et auteur de publication

Créé le:

À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Julie, l'héritière des impressionnistes

Née le 14 novembre 1878 à Paris, Julie Manet débute la peinture très jeune sous le regard bienveillant de sa mère Berthe Morisot puis en compagnie du peintre Auguste Renoir qui la prend sous son aile après la disparition de Berthe en 1895. 

Le musée Stéphane Mallarmé possède plusieurs œuvres de celle qu'on surnommera « l'héritière des impressionnistes », le poète était en effet très proche de sa mère et de son oncle Edouard Manet. Suite au décès de ses parents, il est même choisi pour devenir son tuteur, rôle qui lui tient particulièrement à cœur :

Extrait du journal de Julie Manet, 31 décembre 1896

M. Renoir est venu nous voir en même temps que M. Mallarmé qui nous apporte à chacune une boîte de bonbons avec un charmant quatrain, comme depuis neuf ans il m'en fait chaque année. Celui-ci est très joli, particulièrement doux et « Mallarmé ».

Vers de circonstance de Stéphane Mallarmé

Celle qui sous le ciel si vite
Atteint une exacte hauteur
Fleurit, svelte lys et n'évite
Qu'à son pied reste le tuteur.

Le journal tenu par Julie durant son adolescence témoigne des liens profonds entre elle et la famille Mallarmé. La jeune femme y relate notamment les moments partagés à Paris et Valvins et raconte ainsi avec émotion l'enterrement du poète survenu en septembre 1898 : 

« Nous arrivons à Valvins vers 2 heures. Que c'est pénible de descendre ce chemin au bord de la Seine vers ce petit coin, on ne peut pas ne pas penser que celui qu'on pleure, n'y est plus. La bateau paraît solitaire, une première promenade faite dedans en 87 avec Maman et Papa qui demande à M. Mallarmé s'il n'avait jamais écrit sur son bateau : 

Non, répondit-il en jetant un regard sur sa voile, je laisse cette grande page blanche.

Je me sens le cœur bien gros en entrant dans ce petit jardin, en montant l'escalier et en voyant ces deux malheureuses femmes, qu'elles sont à plaindre, comment les soulager, on ne peut que pleurer avec elles. Ah, cette pauvre Geneviève quelle vie elle a. C'est horrible de voir ce charmant intérieur sans M. Mallarmé, et au lieu de l'entendre causer dans ce jardin sous le marronnier que Geneviève planta étant petite, d'y voir son cercueil ; c'est atroce ! Ah, penser que nous n'entendrons plus jamais cette voix douce. Il avait une façon si affectueuse de dire « Maman » lorsqu'il me parlait d'elle. C'est lui que Papa avait nommé mon tuteur, c'est lui et M. Renoir les deux grands amis de Papa et de Maman. Ils étaient charmants à avoir ensemble. Certes, je ne me doutais pas cet hiver que nous jouissions de leurs conversations réunies pour la dernière fois. 

Homme de lettres et paysans avec lesquels Mallarmé était si gentil, se trouvent réunis en grand nombre dans le jardin pour suivre cet enterrement si particulièrement navrant et on sent la douleur peinte sur tous les visages. La cérémonie à l'église de Samoreau est très simple et très bien. Le cimetière qui longe la Seine et regarde cette forêt que M. Mallarmé aimait tant, où il est déposé prés de son fils qu'il a perdu tout jeune ; Roujon prononce en tremblant quelques paroles au nom des vieux ; Catulle Mendès, Dierx, Mars, etc., pleines de simplicité sur le caractère de son ami, en faisant ressentir toute la douceur ; il arrache des larmes à tous en disant comment, lorsque dans les moments difficiles de la vie on avait recours à lui, vous promettant son aide,  « il vous tendait sa main amie en abaissant ses paupières sur ses grands yeux d'enfants ».

Quel portrait juste et discret, comme M. Mallarmé aurait voulu qu'il soit. Paul Valéry prend ensuite la parole au nom des jeunes ; mais il est tellement émotionné qu'il ne peut continuer et l'on se sort du petit cimetière en sanglotant avec Geneviève. [...] Que c'est lugubre ce soir lorsque tout le monde est parti, de ne plus trouver ici que ces deux femmes seules qui désormais seront sans celui pour lequel elles étaient. Nous dînons avec elles et je nous revois à cette même table le 24 juillet avec celui que nous nous attendons à chaque instant à apercevoir entrant par une porte disant une jolie phrase. »

Tout est lui ici. Valvins a perdu son âme.

Malgré le décès de son tuteur, Julie reviendra rendre visite à Marie et Geneviève Mallarmé, femme et fille du poète, dans leur maison des bords de Seine. Elle peindra d'ailleurs à cette occasion deux aquarelles avec pour modèles les deux femmes en habit de deuil assises dans la cour de l'actuel musée. 

Voir aussi

(Re)découvrez le mardi avec Berthe Morisot : les vacances à Valvins