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Un mardi avec Berthe Morisot : les vacances à Valvins

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, découvrez l'amitié qui lie le poète et la célèbre peintre impressionniste Berthe Morisot à travers leur correspondance.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Les vacances à Valvins

Lettres des 5 et 6 septembre 1893

C’est dans l’atelier de son meilleur ami Édouard Manet que le poète rencontre Berthe Morisot mais leurs rapports se resserrent après la mort du peintre en 1883 dans le projet de défendre l’œuvre du défunt. Modèle de Manet, elle épouse son frère Eugène en 1874 qui décèdera en 1892 et avec qui elle aura une fille Julie. Alors que son art grandit dans l'ombre de son célèbre beau-frère, son talent et son extraordinaire sensibilité artistique font qu'elle sera reconnue par ses pairs comme une artiste à part entière dans un contexte où le mépris pour les femmes peintres est encore très présent. 

Commencée en 1876, la correspondance échangée entre Stéphane Mallarmé et Berthe Morisot est devenue régulière à partir de 1886. A la lecture de ces lettres, on découvre leur intimité ainsi que leur profonde amitié à tel point que la peintre le nommera comme tuteur de sa fille Julie Manet à la mort de son mari. Elle lui écrit dans ce sens alors que l'état d'Eugène semble empirer :  « Je voudrais bien, mon cher ami, causer avec vous comme tuteur de Julie. » (Lettre de Berthe Morisot à Stéphane Mallarmé, 24 mars 1892). 

A la fin de l'été 1893, Berthe, devenue veuve, séjourne à Valvins avec sa fille et y peint une toile, Voiliers sur la rivière, qu'elle laisse à Mallarmé après son départ.

Mon cher ami,

1h. 4 est bien l'heure réglementaire, au moins on me l'a dit à la gare et je triomphais ; mais nous ne sommes pas du tout parties à cette heure là, ni même à 1h. 14 et les rapides passaient sans s'arrêter. Au fond, je crois que vous étiez dans le vrai ou plutôt je n'y comprends rien.

 

Grande déception de se retrouver dans ce Paris auquel on s'attache à la longue par habitude tandis que Valvins laisse tout de suite des regrets.

Laërte abruti au point de se glisser cette nuit dans ma valise et de s'arranger un nid dans les tuyautages de votre cuisine que j'admirais tant. Et ce matin, nous nous sentons si dépaysées de ne plus vous savoir tous là, qu'il est impossible de ne pas vous envoyer un bonjour et un peu de bavardage plus encore à l'adresse des dames que du poète. Je mets néanmoins votre nom sur l'enveloppe par l'habitude que nous avons de vous rendre tous les honneurs.

Bien à vous, B Manet

Souvenirs affectueux de Julie fort reconnaissante de la gentillesse de Geneviève à son égard.

Ma chère amie,

Tout a changé, jusqu'au vent, depuis votre départ, le canot dort sous des menaces de pluie. Je travaille, sans trop savoir à quoi et inscris ce mot en marge...

Vous nous avez apporté une fête, sentir une promenade chère, dans le voisinage et j'en apprécie à sa valeur le charme passé : votre présence ici paraissait si naturelle.

Vos soucis affrontés avec bravoure, et le doigt de Julie, comment tout cela va-t-il (on me le demande) ; et quand vous partez pour le Limousin avec votre indicateur. Ma femme toussaille, Geneviève se rappelle une Julie loquace et particulière à la forêt ; moi, je lui ai trouvé la mine rose et remplie, au départ. La petite voile me suffit peinte et je regarde.

Merci du mot. A vous deux. SM

En parallèle de cette correspondance entre les deux amis, le Journal de Julie Manet, débuté par la jeune adolescente en 1893, raconte ce séjour à Valvins en compagnie de sa mère et de son fidèle compagnon Laërte, le lévrier qui lui a été offert par Stéphane Mallarmé. 

Journal de Julie Manet - Août 1893

Jeudi 24 août – Ce matin préparatifs de départ pour aller à Fontainebleau. Parties à deux heures, traversé Paris, arrivées gare de Lyon avec Octavie venue pour ramener Laërte, on ne voulait pas le laisser monter avec nous dans le train ; mais nous avons trouvé un compartiment pour voyageurs avec chiens. Le chemin de fer s’est mis en route, passé à Charenton, vu la Marne d’une jolie couleur, un peu verte, puis un petit lac ou étang bleu comme la Méditerranée. La campagne par où l’on passe est très jolie.

 Arrivées à Fontainebleau à 4 h 1/2. Tous les cochers criaient et faisaient un petit speech sur les hôtels. Pris une voiture, allées à Valvins par la route bordée de propriétés sur les murs desquelles sont des pots de fleurs. Nous avons déposé nos affaires à l’hôtel de Valvins et sommes allées chez M.Mallarmé qui demeure de l’autre côté du pont, car l’hôtel de Valvins-les-Bains, comme on l’appelle, est au bord de la Seine. M. Mallarmé nous a menées au commencement de la forêt où se trouvaient Mme et Mlle Mallarmé : nous sommes restés là jusqu’à l’heure du dîner. Dîné dehors devant l’auberge sous des arbres au bord de la Seine, on voit là un très joli paysage. Le soir visite chez M. Mallarmé. Couché dans une petite chambre, vue sur la Seine.

Vendredi 25 août – Levées tard, pris café au lait sur la terrasse, c'est ainsi que l'on appelle l'endroit où l'on déjeune et où l'on dine au bord de l'eau. [...] Allées ensuite en forêt, promenade du côté du chemin de fer à un endroit où il y a beaucoup de genévriers. Laërte était ravi de pouvoir courir dans une forêt. Dans le jour M. Mallarmé est venu nous voir en bateau, puis plus tard Mlle Geneviève est venue nous chercher pour faire une promenade de l'autre côté de l'eau, c'est-à-dire à droite en descendant le cours de la Seine. C'est très joli, nous avons suivi un chemin qui par endroits est bordé de peupliers. En passant près d'une prairie où se trouvaient des vaches, M. Mallarmé a parlé au laitier qui les gardait, il est très drôle, il nous a dit le nom de ses vaches, puis, quand nous avons repassé : « Vous avez un joli levré, il a peur des vaches. » Ce garçon a une tête qu'on ne peut pas regarder sans rire, il est rouge, a un nez recourbé, des cheveux roux et une mèche presque blanche par derrière, il est en blouse bleue. Après cette promenade nous sommes rentrées dîner, toujours sur la terrasse.

 

Maman et moi nous avons commencé aujourd'hui quelques chose d'après la vue de notre fenêtre et le bateau de M. Mallarmé passant sur l'eau.

Voir aussi

L'exposition sur Berthe Morisot et l'art du XVIIIe siècle au musée Marmottan Monet.