Stéphane Mallarmé

James Abbott McNeill Whistler, Lithographies pour la revue « The Whirlwind »

Ces quatre lithographies furent créées par Whistler pour la revue The Whirlwind. Cette éphémère publication fut constituée de 26 livraisons qui parurent entre le 28 juin et le 27 décembre 1890 : elle avait, d’après le critique d’art Théodore Duret trois objectifs : « ranimer la cause des Stuarts [ses deux jeunes fondateurs, Stuart Erskine et Herbert Vivian, étant de fervents jacobites], faire connaître les œuvres de Mallarmé et célébrer les mérites de Whistler ». Whistler offrit à Mallarmé une épreuve de chacune de ces lithographies.

The Dancing Girl

The Dancing Girl, qui va servir en quelque sorte de frontispice à la revue The Whirlwind, a en fait été créée dès la fin de l’année 1889 puisque Whistler en envoie une épreuve à Mallarmé en guise d’étrennes dans les derniers jours de décembre 1889 ou tout début janvier 1890. Alors qu’il vient de recevoir cette épreuve, Mallarmé répond le 5 janvier 1890 : « Mon cher ami / Quelle merveille ! et pourtant, je ne sais si ma joie d’y jeter les yeux, pendue au mur de la petite salle que vous connaissez, ne vient pas, autant de l’attention exquise, vraiment, que de la beauté de votre œuvre ; laquelle ainsi porte à un double titre la signature de Whistler. »

Mallarmé avait accroché la lithographie dans son salon de la rue de Rome, à gauche du poêle. Lorsque, quelques mois plus tard, à la sollicitation de Whistler, Mallarmé lui adresse le sonnet Billet, qui paraît dans The Whirlwind du 15 novembre 1890, c’est cette danseuse, personnification du « tourbillon » dont la revue porte le nom, qui constitue le thème central du sonnet :
« […] /Mais une danseuse apparue // Tourbillon de mousseline ou / Fureur éparses en écumes / Que soulève par son genou / Celle même dont nous vécûmes // Pour tout hormis lui, rebattu / Spirituelle, ivre, immobile / Foudroyer avec le tutu / Sans se faire autrement de bile // Sinon rieur que puisse l’air / De sa jupe éventer Whistler. »

Maunder’s Fish Shop, Chelsea

Maunder’s Fish Shop, Chelsea parut en supplément du numéro du 20 décembre 1890, avant dernière livraison de The Whirlwind. Réalisée selon l’usage de Whistler sur du papier à report préparé à cet effet, elle fut reportée par Thomas R. Way, son lithographe attitré, sur plusieurs pierres afin d’être imprimées. Whistler en envoya une épreuve à Mallarmé le 5 février 1891, avec un paquet d’eaux-fortes destinées au Docteur Evans à qui Mallarmé servait d’intermédiaire auprès de l’artiste.

Maunder’s Fish Shop fait partie des nombreuses devantures pittoresques dont Whistler fit le sujet de ses lithographies dans les années 1890. La boutique, qui fut détruite en 1900, était établie 72 Cheyne Walk à Chelsea. Elle évoquait certainement pour Mallarmé le Londres pittoresque qu’il avait connu lors de son séjour dans la capitale anglaise entre novembre 1862 et l’été 1863 avec sa future épouse Marie Gerhard.

The Tyresmith

The Tyresmith parut dans le numéro du 15 novembre 1890 de The Whirlwind en même temps que le sonnet de Mallarmé Billet à Whistler. Dès le 17 novembre, Mallarmé, recevant la livraison du périodique, écrit à Whistler, évoquant à la fois son poème et la lithographie : « Mon cher ami, tout cela est fait Whistleriennement : cette page entière, inouï ! je n’ai jamais présenté aux cieux le linge d’un si impeccable plastron ; et cela à côté d’une œuvre de vous, laquelle, des deux, est le vrai Song. Quant au Brouhaha, vous devinez s’il m’est précieux, puisque j’y entends votre voix.. […] ». La dernière phrase est une allusion à la rubrique « Brouhaha » de la même revue dans laquelle Whistler parle de Mallarmé en termes élogieux, le présentant comme le « chef des Décadents » (ce que le poète cependant récusait) mais surtout comme « le poète le plus vingtième siècle de la France » et « le classique de la modernité ».

Mallarmé et Whistler

Mallarmé et Whistler, pourtant de caractères opposés, nouèrent à partir de la fin de 1887 une amitié indéfectible. Octobre 1896, Whistler à Mallarmé : « Pour Moi – je ne comprends rien – si non que Mallarmé m’aime – et que nous aimons toujours Mallarmé ». Le poète partagea les convictions du peintre et se reconnut dans la solitude de son travail. Pour son ami, il traduisit L e « Ten O’Clock » de M. Whistler, texte d’une conférence sur l’art donnée à Londres en 1885 et qui parut dans sa version française dans La Revue indépendante en mai 1888. De nombreuses estampes offertes par Whistler témoignèrent également de cette touchante amitié. Parmi elles, le portrait de Mallarmé, qui figura dans l’édition de Vers et Prose de 1894 et qu'il dédicaça "A mon Mallarmé". Whistler réalisa également deux portraits de Geneviève, un dessin au fusain et un autre à l’huile, Rose et gris, peint à Valvins en une seule journée, le 20 octobre 1897.