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Un mardi avec Mallarmé : le poète et les chats (la suite)

Chat en bois ayant appartenu à Anatole Mallarmé © Yvan Bourhis
Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir une nouvelle chronique sur le poète. Cette semaine, découvrez la suite de la chronique dédiée à la passion de Mallarmé pour les chats.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir une chronique inédite sur le prince des poètes.

Rue de Rome, 89, au quatrième, en un chétif appartement, Stéphane Mallarmé coule de calmes jours entre sa femme, sa fille — et son chat.

Georges Docquois

Bêtes et gens de lettres

En 1895, le journaliste et dramaturge Georges Docquois réalise un ouvrage très original pour l'époque : une enquête sur les écrivains et leurs animaux, parue sous le titre Bêtes et gens de lettresPlusieurs grandes plumes sont ainsi interrogées sur les liens avec leur(s) fidèle(s) compagnon(s) dont Emile Zola, François Coppée, Anatole France, Catulle Mendès, Pierre Loti, Sully-Prudhomme, Joris-Karl Huysmans et Stéphane Mallarmé qui l'accueille dans son appartement parisien de la rue de Rome. 

« Rue de Rome, 89, au quatrième, en un chétif appartement, M. Stéphane Mallarmé coule de calmes jours entre sa femme, sa fille — et son chat.

Madame Mallarmé est aimable ; mademoiselle Mallarmé est spirituelle ; le chat est noir. Ce chat, d’ailleurs, est une chatte, et répond au nom — très préhistorique — de Lilith. Quant à M. Stéphane Mallarmé, que M. Paul Verlaine a mis dans le rang des « poètes maudits », je lui trouve l’air aussi peu maudit que possible.

En caressant la bête, j’ai conversé avec les gens. A peine me suis-je assis que Lilith saute sur mes genoux et se met à ronronner, ce qui cause dans la famille une stupéfaction visible. On m’explique, du reste, que Lilith, sauvage à l’ordinaire, fait preuve à mon égard d’une confiance sans précédents en son histoire. Je me déclare tort honoré de cette démarche flatteuse de Lilith, qu’en retour, je me mets à frictionner copieusement. Durant que je me livre à cet exercice toujours pour moi plein de charme, M. Stéphane Mallarmé, la pipe à la bouche, me parle, d’une voix légère, un peu câline, et qui, de temps en temps, se bémolise d’ironie — mais vaguement, oh ! combien !

— Les chats ? commence-t-il. En un poème en prose, je les appelai : seigneurs des toits. C’est peu, et tout mon sentiment sur eux, certes, ne tient pas dans cette épithète. Je les ai toujours contemplés avec curiosité. Ils ont eu beaucoup de mon attention. Je dois dire que je les ai vus, selon les époques, très différemment.

Le chat fut d’abord, pour moi, l’idole secrète de l’appartement. Un chat, trônant sur un meuble, avec la double émeraude de ses yeux, je considérai cela comme le dernier bibelot, le couronnement suprême.

Stéphane Mallarmé

Je fus fervent. Puis, mon enthousiasme tomba peu à peu. A force de contempler le chat, je le trouvai moins raréfié. Je lui vis le ventre du lapin... Grâce à Lilith, cependant, cette dépréciation de l’espèce n’a pas persisté en moi. Je me rends bien compte — eh ! oui — que Lilith n’est pas une panthère noire et qu’on en peut faire une gibelotte ; mais j’estime, d’autre part, que, mise à sa place ; à l’heure convenable, cette bête n’est pas sans mérite. [...]

— Avant Lilith, j’ai eu Neige, se met à raconter le maître. Neige était une divine créature, que nous gardâmes trop peu de temps pour que je vous en puisse parler. Lilith, elle, me donna des impressions que je n’ai retrouvées nulle part. Ainsi, j’ai pu constater qu’il y a des instants où Lilith devient une personne, des minutes où sa tête de chatte noire devient positivement une tête de femme noire ; des minutes où, tout à coup, au gré de mon regard halluciné, cette tête de chatte se mue en face d’idole... Puis, soudain aussi, le charme étrange se rompt quand Lilith saute de la chaise où elle se figeait et quand je vois s’en aller sous un meuble cette tête de femme — à l’Odilon Redon — traînant après elle un corps insuffisant... Et c’est une impression très triste... [...]

— En résumé, que pensez-vous du chat ? Est-ce un animal estimable ?

— Je ne m’embarrasse guère d’examiner s’il est hypocrite et fourbe, comme on le prétend. Je ne le crois pas très criminel. Il aime surtout la maison, c’est vrai, mais il ne doit point être tout à fait incapable d’affection pour ceux qui habitent cette maison.

En somme, je pense que le chat est nécessaire à un intérieur. Il le complète. C’est lui qui polit les meubles, en arrondit les angles, lui qui donne à l’appartement du mystérieux. Il est bien le dernier bibelot, le couronnement suprême.

Stéphane Mallarmé

Je pourrais tirer de M. Mallarmé bien d’autres choses ingénieuses et jolies sur le chat ; mais comme, à sa façon décisive de tirer sur sa pipe, je crois voir qu’il tient ses derniers mots pour le final hommage de ce soir aux « seigneurs des toits », je n’insiste point. »

 

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Découvrez la première partie de la chronique sur Mallarmé et les chats !