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S’il y eut un peintre par-dessus tous les autres pour Mallarmé, ce fut sans conteste Edouard Manet. La profonde amitié qui lie le peintre au poète semble avoir commencé en 1873, alors qu’ils sont quasi-voisins.
Pendant dix ans, en sortant du lycée Fontanes (aujourd’hui Condorcet) où il exerce son pénible « gagne-pain obligé » de professeur d'anglais, Mallarmé rejoint quotidiennement Manet dans son atelier. Les deux hommes s’admirent mutuellement et passent de longues heures à discuter dans l’antre de l'artiste, liés par leur volonté de créer un nouveau langage moderne en peinture comme en poésie.
J’ai, dix ans, vu tous les jours mon cher Manet, dont l’absence aujourd’hui me paraît invraisemblable !
Le poète met sa plume au service de son ami et prend sa défense dès 1874 dans un article intitulé « Le jury de peinture de 1874 et M. Manet ». Mallarmé y défend le peintre contre « la triste politique » du jury du Salon qui empêche le public « de voir tout ce qu’il y a ». En 1876, Manet ouvre son atelier au public pour présenter les tableaux refusés et d'autres œuvres, Mallarmé publie à cette occasion un nouveau texte « Les Impressionnistes et Edouard Manet » dont seule subsiste la version anglaise. Il s’agit de la plus profonde réflexion que Mallarmé développera sur la peinture.
« Manet fait un petit portrait de moi en ce moment », écrit Stéphane Mallarmé à son ami Arthur O’Shaughnessy le 19 octobre 1876. Ce « tableautin », comme le surnomme le poète, n’est qu’une petite huile sur toile de 27 cm par 36 qui fut longtemps accrochée dans le salon de son domicile parisien de la rue de Rome.
C’est à l’occasion de l’une de ses nombreuses visites que Mallarmé pose pour son cher ami, dans son atelier qui lui est familier et reconnaissable à la tenture japonaise visible en arrière-plan.
Assis au creux d’un divan, Mallarmé apparaît comme un jeune dandy, à la fois élégant et nonchalant, la chevelure et la moustache légèrement ébouriffées, tenant un cigare incandescent aux volutes bleues, une main posée sur un paquet de feuilles blanches, l’autre glissée dans la poche de son caban1 :
« Manet a peint Mallarmé dans une attitude et à un âge immémoriaux en dépit des cigares et veston qu’affectionnait pour ses portraits d’hommes le grand artiste moderniste, si intuitif et si fin, sous le dandysme de sa bonhommie. Ici le poète est en quelque sorte apothéosé, immortalisé. » Paul Verlaine, dans la revue Lutèce, 1884.
Plongé dans ses pensées, il semble même oublier qu’il est observé par son ami. La touche de Manet est rapide et légère pour mieux saisir le poète dans ce moment de rêverie intellectuelle et évoquer très justement l’univers évanescent des poèmes de Mallarmé. Le peintre a choisi de mettre en lumière le Mallarmé des intimes, l’amateur de cigares, cet « homme au rêve habitué », comme il le disait de lui-même2.
Après la mort du poète en 1898, le portrait restera dans la famille jusqu'à son acquisition par l'Etat en 1928. Le tableau, aujourd'hui conservé au Musée d'Orsay, a été exposé dans la maison du poète en 2013 à l'occasion de l'exposition Portrait de Mallarmé, de Manet à Picasso.
Malgré ses modestes dimensions, ce tableau occupe une place significative dans l'œuvre du peintre. Dans son ouvrage consacré à Manet publié en 1955, Georges Bataille écrivait ainsi :
Dans l’histoire de l’art et de la littérature, ce tableau est exceptionnel. Il rayonne l’amitié de deux grands esprits
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