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Un mardi avec Zola : le cher confrère de Mallarmé

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, l'amitié de Mallarmé et Zola est mis en lumière à travers leur correspondance.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Mallarmé et Zola

La correspondance des chers confrères

Mallarmé rencontre probablement Zola dans l’appartement de Manet rue Saint-Pétersbourg. Les deux hommes entretiennent de 1874 à 1898 une correspondance active. Malgré la profonde différence de son style littéraire, Mallarmé admire et estime Zola. Ce dernier lui envoie et dédicace par ailleurs plusieurs de ses livres : « à Stéphane Mallarmé, son dévoué confrère, Émile Zola ».

On retrouve ainsi divers ouvrages de Zola dans la bibliothèque du poète : Au Bonheur des dame, La Conquête de Plassans, La Débâcle, Le Docteur Pascal, Lourdes, Rome, La Terre, Théâtre. Thérèse Raquin. Les héritiers Rabourdin. Le bouton de rose.

Grâce à la correspondance entre les deux auteurs, il est certain que Mallarmé possédait en réalité une collection beaucoup plus importante des œuvres de Zola. 

Paris, lettre du 3 février 1877

Mon cher confrère,

Je viens de relire d'un trait l'Assommoir, qui me manquait chaque dimanche en recevant la République des lettres, depuis quelques temps. L'impression causée par chacun des morceaux était profonde ; combien plus l'est celle du livre entier ! Merci doublement, puisque c'est dans un exemplaire envoyé par vous que j'ai eu la joie de vous relire.

Voilà une bien grande œuvre ; et digne d'une époque où la vérité devient la forme populaire de la beauté ! Ceux qui vous accusent de n'avoir pas écrit pour le peuple se trompent dans un sens, autant que ceux qui regrettent un idéal ancien ; vous en avez trouvé un qui est moderne, c'est tout. [...] La simplicité si prodigieusement sincère des descriptions de Coupeau travaillant ou de l'atelier de la femme me tiennent sous un charme qui n'arrivent point à me faire oublier les tristesses finales : 

 

c'est quelque chose d'absolument nouveau dont vous avez doté la littérature, que ces pages si tranquilles qui se tournent comme les jours d'une vie.

Au revoir ; recevez-vous toujours (sauf les soirs de premières) le jeudi ? Je serais bien heureux d'aller vous serrer la main chaleureusement : d'autant plus que j'ai par hasard si froid aux doigts de l'endroit où je vous écris ce bout de billet à la hâte, que je cesse, illisible. 

J'ai retrouvé un exemplaire du Corbeau que je vous porterai, de la part de Manet que vous aimez et de moi qui vous aime. [...]

Bien à vous,

STÉPHANE MALLARMÉ

Valvins, lettre du 26 avril 1878

Mon cher confrère,Mille fois merci de m'avoir inscrit au nombre de vos premiers lecteurs : j'étais fort souffrant, au reçu de votre volume* que je viens d'emporter et de lire à la campagne, d'où mon retard à vous presser la main. Je causerai longuement avec vous, quand j'aurais le plaisir de vous voir, jeudi : permettez-moi aujourd'hui de vous dire simplement et en deux mots, que j'admire votre dernière œuvre à l'égal de toutes les autres, et peut-être un peu plus. 

Il me semble que vous êtes arrivé pour la première fois, non à faire une chose magnifique, ce dont vous étiez coutumier, mais exactement ce que vous considérez comme le type de l'œuvre littéraire moderne.

Un poëme, car c'en est un, sans interruption ; et un roman, pour qui voudrait n'y voir qu'une peinture juste de la vie contemporaine. [...]

Je ne crois pas qu'auteur ait à ce point laissé parler le papier et fait que les pages se retournent d'elles-mêmes et magiquement jusqu'à la dernière : alors tout est dit et le poëme est contenu, tout entier, dans le livre comme en l'esprit du lecteur, sans que par une lacune quelconque on puisse y laisser pénétrer de soi, ni rêver de côté. [...]

A jeudi, veuillez mettre mes hommages aux pieds de Mme Zola, avec une partie des félicitations que je vous adresse, mon cher confrère.

STÉPHANE MALLARMÉ

*Une Page d'amour

Valvins, lettre du 5 octobre 1890

Je me suis promis de ne pas rouvrir la Bête humaine, reçue de vous, cet hiver, pendant un voyage, mon cher Zola, or je m'apprête à en faire, ce soir, ma lecture une fois de plus, avant simplement de vous avoir remercié. [...]

J'admire, avec tout mon esprit et de longue date, cet art, le vôtre, qui est entre la littérature et quelque chose d'autre, capable de satisfaire la foule et étonnant le lettré ; et je crois que jamais torrent de vie n'a circulé comme ce ravin creusé par votre drame entre Paris et le Hâvre.

Merci ou pardon, je ne sais lequel écrire, recevez-le comme une poignée de mains d'une rencontre sans date, mais contente.

Bien à vous,

STÉPHANE MALLARMÉ

Paris, lettre de mars 1896

Mon cher Zola,

J'ai voulu, avant de vous remercier de la lecture de Messidor, l'aller entendre et voir à la scène. Le livret, qui est une merveille d'invention et de coupe, se transporte tout entier, sans rien perdre de son pathétique ni de sa magnificence : un peu de la prose, peut-être, fuit par instant, mais elle dispense du vers inutile ici.

L'ensemble est de mille fois supérieur à l'esthétique des opéras contemporains, indiscutablement et, vit-on le théâtre chanté et dansé sous un aspect très différent, on sent que votre griffe ne se pose quelque part, qu'à bon escient.

Votre ami,

STÉPHANE MALLARMÉ

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