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Un mardi avec Matisse : l'illustration des poésies de Mallarmé

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, retour sur le premier livre illustré d'Henri Matisse réalisé au début des années 30 autour des poèmes de Stéphane Mallarmé.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Mallarmé et Matisse

Retour sur le premier livre illustré de l'artiste

En 1930, Henri Matisse est sollicité par le jeune éditeur d’art Albert Skira pour réaliser un livre d'artiste. Le contrat, qui prévoyait à l’origine une illustration des Amours de Psyché de Jean de La Fontaine, portera finalement sur les Poésies de Stéphane Mallarmé

Poésies rassemble la majeure partie des œuvres du poète. Dès 1887, Mallarmé entreprend de regrouper ces poèmes dans un recueil qui paraît pour la première fois dans La Revue Indépendante avec seulement trente-cinq textes. Un an après sa mort, une nouvelle édition est publiée aux éditions Deman en 1899 qui présente quarante-neuf écrits du poète. Il faut attendre 1913 pour qu'une série augmentée (jusqu'à une soixantaine de pièces) paraisse aux éditions de la Nouvelle Revue française.

Matisse se consacre pendant deux ans à ce projet, le livre, publié en 1932, est illustré de vingt-neuf eaux-fortes, choisies parmi la soixantaine réalisée par l'artiste. Inspiré par la notion mallarméenne de page blanche, l'artiste y fait preuve d'un sens exceptionnel de l'équilibre et de l'harmonie.

 

L’investissement de Matisse dans cette œuvre est total : choix des poèmes, typographie, mise en page… Il optera donc pour l’eau-forte, technique de gravure qui lui permet d’obtenir un trait pur et régulier, adapté aux impressions que font naître en lui les vers de Mallarmé : « Il est agréable de voir un bon poète transporter l’imagination d’un artiste d’une autre sorte et lui permettre de créer son propre équivalent de la poésie. L’artiste plastique, pour tirer le meilleur parti de ses dons, doit veiller à ne pas adhérer trop servilement au texte. Au contraire il doit travailler librement, sa propre sensibilité s’enrichissant au contact du poète qu’il s’apprête à illustrer. »

 

Arrivant au terme de cette illustration des poésies de Mallarmé je voudrais simplement déclarer : voici le travail que j’ai fait après avoir lu Mallarmé avec plaisir.

Henri Matisse

 

Les vers et le voyage comme sources d'inspiration

Avant de réaliser les illustrations pour Poésies de Stéphane Mallarmé, Matisse entreprend de mars à juin 1930 un voyage à Tahiti. Il est à la recherche d’une autre lumière, qu’il pense pouvoir trouver dans l’hémisphère sud.

C’est à travers le travail sur les œuvres de Mallarmé et en particulier dans les eaux-fortes pour Soupir, L'Azur et Prose pour des Esseintes que ce voyage à Tahiti resurgit pour la première fois dans son œuvre. Le motif développé pour le poème Soupir dont l’origine est le port de Papeete vu depuis la chambre d’hôtel du peintre, lui plaît tant qu’il le réutilisera à plusieurs reprises.

Soupir, Stéphane Mallarmé

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil
angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l'Azur !
– Vers l'Azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.

Matisse et Mallarmé au musée

En 2001, le musée Stéphane Mallarmé acquière un exemplaire du recueil datant de 1932 et comportant des remarques (petits dessins supplémentaires) en plus des vingt-neuf eaux-fortes du livre.

Cette édition demeure rare et seules quelques institutions ont aujourd'hui la chance de posséder un tel ouvrage dans leurs collections dont le Baltimore Museum of Art, le Museum of Modern Art de New-York ou encore la National Gallery of Australia. 

Pour mettre en lumière cette précieuse acquisition, le musée organise l'année suivante une exposition inédite Matisse et Mallarmé présentant près de 80 œuvres, accompagnées d’une partie de la bibliothèque personnelle du peintre ainsi que d’archives, provenant de collections publiques et privées françaises.

Plusieurs auteurs ont participé au catalogue de l'exposition dont Vincent Lecourt alors assistant de conservation au musée : 

Aucun document n’a permis, jusqu’à aujourd’hui, de connaître avec certitude les raisons pour lesquelles Matisse s’est tourné vers Mallarmé plutôt que La Fontaine. [...]  Le peintre, né en 1869, n’a pu échapper à l’œuvre et à l’influence du « Prince des Poètes », dont la notoriété culmine dans les années 1890.

Dès ses premières années de formation, Matisse a pu être en contact avec des artistes et des écrivains proches du poète, dont les Nabis. Il noue d’ailleurs avec Pierre Bonnard une amitié qui se prolongera jusqu’à sa mort en 1947 et on peut imaginer que Mallarmé a alimenté certaines de leurs conversations. 

La « révélation » aurait pu venir également de son voyage à Tahiti, où Matisse s’est lancé sur les traces de Gauguin, lequel était très lié avec Stéphane Mallarmé. Matisse a pu alors se souvenir du poète, sans que l’on puisse toutefois en trouver la mention dans sa correspondance.

En 1941, dans une lettre adressée à André Rouveyre, son ami depuis les années de formation dans l’atelier de Gustave Moreau et qu'il retrouve à cette époque sur la Côte d'Azur, l'artiste exprime sa connaissance de la poésie de Mallarmé et sa sensibilité à l’une de ses caractéristiques principales, la musicalité des vers.

La correspondance entre Matisse et Rouveyre montre que le peintre n’a jamais vraiment cessé de s’intéresser au poète. Depuis qu’ils se côtoient à nouveau, les deux amis s’échangent des livres. En 1942, Matisse adresse à Rouveyre un exemplaire de Vie de Mallarmé, livre écrit par l’un des spécialistes du poète alors, Henri Mondor, ainsi que Mallarmé l’obscur de Charles Mauron. Jusqu’en 1950, on trouve des mentions du poète dans leurs lettres tandis que l'artiste décèdera quatre années plus tard à Nice. 

Voir aussi

Félicitations au musée Matisse de Nice qui vient d'acquérir fin 2023 un exemplaire de cette édition. Cette acquisition est très importante car le recueil Poésies de Stéphane Mallarmé était le seul livre illustré par Matisse qui manquait à leur collection.