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Un mardi avec James Whistler : le portrait de Geneviève Mallarmé

James Abbott McNeill Whistler, Rose et gris. Portrait de Geneviève Mallarmé, 1897, huile sur bois, musée Stéphane Mallarmé. © Yvan Bourhis
Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, focus sur le portrait de Geneviève Mallarmé, fille du poète, par le peintre américain James Abbott McNeill Whistler.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Le plus européen des peintres américains

Né en 1834 aux États-Unis, James Abbot McNeill Whistler est un peintre et graveur américain dont la carrière artistique naviguera entre Londres et Paris. Fils d’un ingénieur des travaux publics, il passe son enfance en Russie où il s'inscrit à l'Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et apprend le français.

La famille s'installe ensuite à Londres en 1848, mais après la mort de son père survenue en 1849, Whistler et sa mère reviennent aux États-Unis. Le jeune se homme se destine dans un premier temps à une carrière militaire et intègre l’académie de West Point en 1851. Il y apprend l’aquarelle et les techniques de la gravure avant d'être renvoyé en 1854.

L'année suivante, il décide de changer de voie et quitte son pays natal pour partir étudier la peinture à Paris. Il intègre en 1856 l'atelier de Charles Gleyre et rencontre la nouvelle génération d'artistes français dont Monet, Renoir, Sisley ou encore Degas.

Alors que sa première toile connue, Au Pianoest refusée au Salon Officiel de 1859, Gustave Courbet remarque le tableau de Whistler qui devient l'élève et l'ami du peintre français. Il privilégie à cette époque les modèles féminins, notamment sa mère et ses sœurs, qu'il représente de manière élégante et diaphane. 

À partir des années 1860, ses relations avec le milieu artistique parisien s’étoffent, il tisse notamment des liens avec le peintre Edouard Manet et le graveur Félix Bracquemond mais surtout avec Henri Fantin-Latour et Alphonse Legros avec qui il fonde la Société des Trois. Cette amitié est notamment immortalisée en 1864 dans lHommage à Delacroix de Fantin-Latour où Whistler apparaît au premier plan.

Alors qu’il est à nouveau rejeté du Salon Officiel, sa célèbre toile Jeune fille en blanc fait sensation au Salon des refusés de 1863 aux côtés du Déjeuner sur l'herbe de Manet. Déçu par la réception de sa peinture à Paris, Whistler décide de gagner l'Angleterre où il se lie d’amitié avec Oscar Wilde et se passionne pour les paysages londoniens. 

Il parvient en effet à saisir l’atmosphère si particulière de la brume, du fog typique de la capitale anglaise, où les formes paraissent se dissoudre dans le paysage. L’artiste montre ici de grandes qualités d’abstraction qui se détachent du réalisme à la Courbet. À Londres, la notoriété du peintre s'accroît alors qu'il devient un véritable spécialiste des scènes nocturnes. 

Après 1870, Whistler revient au portrait avec Arrangement en gris et noir n° 1, portrait de la mère de l'artiste et Arrangement en gris et noir n° 2. Désormais, ses œuvres porteront toutes des sous-titres musicaux. Considéré comme le précurseur de l'impressionnisme anglais, il conçoit en effet la peinture comme une pure expérience esthétique au-delà des valeurs de la représentation et se rapprochera de la culture symboliste des années 1880-1890. Ses contemporains comparent ainsi ses nocturnes et ses symphonies picturales aux variations subtiles de la musique de Richard Wagner.

Persuadé que l'art devrait se concentrer sur l'harmonie des couleurs et la variation des ombres et lumières, il est aujourd'hui considéré comme un précurseur de l'art abstrait. Cette approche fut à l'époque très critiquée, notamment en France, où le chemin de Whistler vers la renommée fut laborieux. Il faudra attendre les expositions universelles de Paris en 1889 et 1900 pour une reconnaissance officielle où il reçoit respectivement la légion d’honneur puis deux grands prix pour son tableau Variations en chair et vert - Le Balcon

 

 

Le petit tableau de la princesse

Mallarmé et Whistler se rencontrent en janvier 1888 grâce à une invitation de Monet qui les réunit à déjeuner au Café de la Paix. Après son mariage en 1888, le peintre revient habiter à Paris au début des années 1890 et devient rapidement un habitué des mardis de la rue de Rome. S'ensuit plus de dix ans d'une amitié indéfectible entre ces deux personnalités si différentes, comme le racontera l'écrivain et mardiste Henri de Régnier dans son recueil Nos Rencontres en 1931 :

« Dès l'abord, Mallarmé subit le prestige de Whistler et fut touché comme par un spectre de magicien par la badine d'ébène dont jouait élégamment ce grand dandy de la peinture. Tout chez Whistler motivait la curiosité et l'attrait qu'éprouvait pour lui Mallarmé : son art mystérieux et raisonné, plein de subtiles pratiques et de recettes compliquées, la singularité de sa personne, la nervosité intelligente de son visage, la mèche blanche qui se mêlait à sa noire chevelure, le monocle diabolique retenait le froncement de son sourcil, son esprit prompt aux reparties cinglantes et aux répliques cruelles, cet esprit prompt et incisif qui était son arme de défense et d'attaque ». 

De nombreuses estampes offertes par Whistler témoignent également de cette touchante amitié. Parmi elles, le portrait de Mallarmé, qui figure dans l’édition de Vers et Prose de 1893. Le peintre se rendit également plusieurs fois à Valvins et réalisa deux portraits de Geneviève, la fille du poète, un dessin au fusain et une peinture à l’huile, Rose et gris, peint en une seule journée, le 20 octobre 1897, aujourd'hui conservés au musée. 

Lettre de Whistler à Mallarmé, 23 octobre 1897

Mon cher ami ! — Il est déjà dans son cadre le petit tableau de la princesse en son boudoir Rose et gris — 

[...] Le voyage a été excellent, mais je me suis trouvée, à la gare de Lyons, dans un Paris tout gris et froid !

Ma visite restera pour moi un souvenir dont la douce influence ne saura que m'encourager dans ma vie que vous connaissez si triste au fond !

[...] Présentez mes hommages à ces dames, avec mes meilleurs remerciements pour toutes leurs gentilles bontés — 

A bientôt, « mon Mallarmé » !

Lettre de Mallarmé à Whistler, 25 octobre 1897

Merci Whistler, votre lettre me pénètre comme ce qui émane de vous. Cher ami, je vous ai connu seul et, tel jadis, je vous aimai tout de suite, à cause de votre rareté [...] Geneviève a hâte de revoler du côté de son image ; elle se sent très belle, et captive, autre-part. Quelle munificence, Whistler, et aussi la bonne affection, d'avoir pris les devants, avec cette merveille, sur un souhait secret ! De tout cœur, la main.

Voir aussi

Le portrait de Geneviève Mallarmé par l'artiste est actuellement présenté au musée des Beaux-Arts de Rouen dans le cadre de l'exposition "Whistler, l'effet papillon " !

Sources