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Un mardi avec Mallarmé : le coup de dés

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, focus sur le dernier poème de Stéphane Mallarmé : « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ».

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

La dernière folie poétique

En 1897, un an avant de mourir, Mallarmé montre au tout jeune Paul Valéry les épreuves de son œuvre ultime, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard et lui confie ceci : « Ne trouvez-vous pas que c’est un acte de démence ? ». 20 ans plus tard, ce dernier relatera cet épisode dans une lettre au Directeur des Marges  : 

« Je crois bien que je suis le premier homme qui ait vu cet ouvrage extraordinaire. A peine l'eût-il achevé, Mallarmé me pria de venir chez lui ; il m'introduisit dans sa chambre de la rue de Rome, où derrière une antique tapisserie reposèrent jusqu'à sa mort, signal par lui donné de leur destruction, les paquets de ses notes, le secret matériel de son grand œuvre inaccompli. Sur sa table de bois très sombre, carrée, aux jambes torses, il disposa le manuscrit de son poème ; et il se mit à lire d'une voix basse, égale, sans le moindre « effet », presque à soi-même...»

Il a essayé, pensais-je, d'élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé.

Lettre de Paul Valéry au directeur de Marges,1920.

Un symbole de modernité

Un coup de dés jamais n’abolira le hasard est l’un des textes de Mallarmé qui a le plus marqué la postérité. Ce « grand poème typographique et cosmogonique » (Paul Claudel) a été considéré comme un symbole de la modernité en poésie. En effet, au moment de sa parution, la mise en forme graphique du poème est encore inexplorée et totalement vierge. 

Pour la première fois, la forme dans son aspect typographique apparaît aussi importante que le fond. Les deux se conjuguent pour créer un poème insolite qui n’a cessé de susciter les interprétations les plus diverses, philosophiques, littéraires, artistiques et musicales. 

C’est d’une audace littéraire si admirablement et simplement prise ; il semble arriver là comme un promontoire avancé étrangement, très élevé, après lequel il n’y a plus que la nuit – ou la mer et le ciel plein d’aube.

Lettre d'André Gide à Stéphane Mallarmé, 1897.

Ce poème hors-norme se déploie sur onze doubles pages où Mallarmé joue avec les espaces, la disposition des mots, les majuscules et les différentes tailles des caractères pour créer une forme graphique inédite. Lorsqu’il paraît en 1897 dans la revue Cosmopolis, une note de la rédaction, soucieuse de ne pas trop effaroucher ses lecteurs par ce texte déconcertant, indique : « Dans cette œuvre d’un caractère entièrement nouveau, le poète s’est efforcé de faire de la musique avec les mots ». 

Il est vrai que Mallarmé a conçu ce poème telle une partition musicale, il utilise le vers libre (sans rime et sans métrique) tout en créant un rythme grâce aux variations de sonorités et de caractères ainsi qu'aux répétitions. La musicalité est ici d'autant plus forte qu'elle se mêle aux silences figurés par les blancs typographiques. 

Une collaboration artistique

Cependant cette publication, limitée dans l’espace de la page, ne donne pas toute satisfaction à Mallarmé. Pour déployer son texte comme il l’entend, Mallarmé songe alors à un autre projet qui à la différence du premier ne verra jamais le jour.

Il s’agit d’une édition de luxe proposée par Ambroise Vollard et illustrée par Odilon Redon. Le poète et l'artiste furent d'ailleurs amis et voisins des bords de Seine :

« Mon cher Redon, Aujourd'hui souffle le vent du nord tout doucement, Si vous voulez être sur la berge entre Samois et les Plâtreries d'une heure à deux, avec Madame en cas cette navigation lui agrée, je croiserai dans ces parages et vous embarquerai pour découvrir Thomery, Champagne et le monde... » (Lettre à Odilon Redon, 1889). 

Le poète meurt cependant avant l’achèvement du projet et seules trois illustrations de Redon nous sont parvenues dont deux actuellement conservées au musée. La publication du coup de dés en volume sera posthume à l'initiative du gendre du poète, Edmond Bonniot, en 1914. Depuis, d’autres éditions ont vu le jour, tentant d’approcher le plus possible la publication idéale envisagée par Mallarmé.

Ainsi, je ne laisse pas un papier inédit excepté quelques bribes imprimées que vous trouverez puis le Coup de dés et Hérodiade terminé s'il plaît au sort.

Stéphane Mallarmé, Recommandations quant à mes papiers, 1898.

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