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Un mardi avec Mallarmé : Lettre à Verlaine

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.
Cette semaine, la correspondance entre Mallarmé et son ami Verlaine est mise à l'honneur.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

La lettre autobiographique à Verlaine - Partie 1

Lettre de Stéphane Mallarmé à Paul Verlaine, 16 novembre 1885.

 

Les deux poètes entrent en relation dès 1866 alors qu'ils collaborent au premier Parnasse contemporain  et échangeront des lettres pendant 30 ans qui témoignent de leur admiration mutuelle :

"Monsieur et cher poète,

Permettez-moi de voir dans l'attention exquise que vous avez eue de m'envoyer votre volume, sans me connaitre, autant qu'une sympathie littéraire, le pressentiment merveilleux d'une amitié ignorée. Vous êtes venu au-devant d'un vœu de vous presser la main, que j'avais formé après la lecture de vos vers, dans le Parnasse."

Lettre à Paul Verlaine, décembre 1866.

 

Mallarmé rédigera d'ailleurs pour son ami, l'un de ses célèbres quatrains-adresses qu'il aimait écrire en guise d'adresse postale :

Je te lance mon pied vers l'aine

Facteur, si tu ne vas où c'est

Que rêve mon ami Verlaine

Ru' Didot, Hôpital Broussais

 

Les deux hommes ne font pas que correspondre, Verlaine assiste aux mardis littéraires organisés par Mallarmé dans son appartement de la rue de Rome et réalisera d'ailleurs un portrait de son hôte conservé aujourd'hui au musée. 

 

En 1884, c'est Verlaine qui révèle Mallarmé au grand public en lui rendant hommage dans son œuvre Les Poètes maudits où il présente ceux qu'il considère comme étant les "poètes absolus" ayant renouvelé la poésie française. 

Le 16 novembre 1885, Mallarmé écrit à son ami poète une lettre très importante connue sous le nom de « lettre autobiographique » afin d'aider Verlaine à rédiger une notice pour la revue littéraire Les Hommes d’aujourd’hui  :

          Mon cher Verlaine,

     Je suis en retard avec vous, parce que j’ai recherché ce que j’avais prêté, un peu de côté et d’autre, au diable, de l’œuvre inédite de Villiers. Ci-joint le presque rien que je possède.

     Mais des renseignements précis sur ce cher et vieux fugace, je n’en ai pas : son adresse même, je l’ignore ; nos deux mains se retrouvent l’une dans l’autre, comme desserrées de la veille, au détour d’une rue, tous les ans, parce qu’il existe un Dieu. A part cela, il serait exact au rendez-vous et, le jour où, pour les Hommes d’Aujourd’hui, aussi bien que pour les Poëtes Maudits, vous voudrez, allant mieux, le rencontrer chez Vanier, avec qui il va être en affaires pour la publication d’Axël, nul doute, je le connais, aucun doute, qu’il ne soit là à l’heure dite. Littérairement, personne de plus ponctuel que lui : c’est donc à Vanier à obtenir d’abord son adresse, de M. Darzens qui l’a jusqu’ici représenté près de cet éditeur gracieux.

     Si rien de tout cela n’aboutissait, un jour, un mercredi notamment, j’irais vous trouver à la tombée de la nuit ; et, en causant, il nous viendrait à l’un comme à l’autre, des détails biographiques qui m’échappent aujourd’hui ; pas l’état civil, par exemple, dates, etc., que seul connaît l’homme en cause.

     Je passe à moi.

     Oui, né à Paris, le 18 mars 1842, dans la rue appelée aujourd’hui passage Laferrière. Mes familles paternelle et maternelle présentaient, depuis la Révolution, une suite ininterrompue de fonctionnaires dans l’Administration de l’Enregistrement ; et bien qu’ils y eussent occupé presque toujours de hauts emplois, j’ai esquivé cette carrière à laquelle on me destina dès les langes. Je retrouve trace du goût de tenir un plume, pour autre chose qu’enregistrer des actes, chez plusieurs de mes ascendants : l’un, avant la création de l’Enregistrement sans doute, fut syndic des Libraires sous Louis XVI, et son nom m’est apparu au bas du Privilège du roi placé en tête de l’édition originale française du Vathek de Beckford que j’ai réimprimé. Un autre écrivait des vers badins dans les Almanachs des Muses et les Étrennes aux Dames. J’ai connu enfant, dans le vieil intérieur de bourgeoisie parisienne familial, M. Magnien, un arrière-petit-cousin, qui avait publié un volume romantique à toute crinière appelé Ange ou Démon, lequel reparaît quelquefois coté cher dans les catalogues de bouquinistes que je reçois.

     Je disais famille parisienne, tout à l’heure, parce qu’on a toujours habité Paris ; mais les origines sont bourguignonnes, lorraines aussi et même hollandaises.

     J’ai perdu tout enfant, à sept ans, ma mère, adoré d’une grand’mère qui m’éleva d’abord ; puis j’ai traversé bien des pensions et lycées, d’âme lamartinienne avec un secret désir de remplacer, un jour, Béranger, parce que je l’avais rencontré dans une maison amie. Il paraît que c’était trop compliqué pour être mis à exécution, mais j’ai longtemps essayé dans cent petits cahiers de vers qui m’ont toujours été confisqués, si j’ai bonne mémoire.

     Il n’y avait pas, vous le savez, pour un poëte à vivre de son art même en l’abaissant de plusieurs crans, quand je suis entré dans la vie ; et je ne l’ai jamais regretté. Ayant appris l’anglais simplement pour mieux lire Poe, je suis parti à vingt ans en Angleterre, afin de fuir, principalement ; mais aussi pour parler la langue, et l’enseigner dans un coin, tranquille et sans autre gagne-pain obligé : je m’étais marié et cela pressait.

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