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Un mardi avec Mallarmé : Mallarmé par sa fille

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Mallarmé par sa fille - Partie 1

Lettre de Geneviève Mallarmé à Camille Mauclair, 5 novembre 1916.

          Aussi loin que se reportent mes yeux d’enfant, la chère figure passe semblable à elle-même dans mon souvenir : celui qui fait toujours ce qui doit être fait. En toutes circonstances de la vie, graves ou souriantes, le geste juste s’y appliquant, bon, droit, sûr, ou joli. Et je vous assure, que ce n’est pas ma filiale admiration seule qui parle, c’est parce que c’est vrai.

          Bonté, tendresse, ces mots si souvent pris en acception banale ou vague me semblent créés pour lui. Aussi : sérénité. Sérénité obtenue par sa netteté d’âme, tout lui. Et cette beauté intime s’alliait si bien à l’extériorisation de l’être physique, à la douceur souriante et lointaine du regard gris-vert, aux attitudes précises, à la voix nette et un peu chantante, à la courtoisie distante du maintien.            

Il vivait son rêve, mais il n’était étranger à rien de ce qui fait le charme de la vie. C’était l’être le plus présent, le plus à cœur avec les siens, avec ses amis préférés.

Geneviève Mallarmé, fille du poète

Nous l’aimions tellement, maman et moi, que chaque fois qu’il rentrait nos cœurs battaient en fête – ce n’est pas un vain mot – lorsque nous entendions son pas. Pour moi, c’était le camarade aîné, fraternel, gai – si gentil.

          Il eut des heures bien difficiles et jamais, jamais, vous le savez, n’est-ce pas ? il n’envisagea l’idée de faire de la besogne littéraire ; il aurait pu, comme maints autres, produire des choses dont tant se seraient contentés, car il avait le don d’écrire. Il préféra le dur métier professoral, si loin de lui, au fait de se « galvauder »  comme il le disait. Il en souffrit effroyablement toute sa vie. Que je l’ai vu malheureux du heurt de son travail coupé deux fois par jour par les classes ! Mais il choisit ce « bagne », selon sa douloureuse expression, plutôt que le reste.

          Il poussait si loin le pur souci littéraire, le désir de l’œuvre travaillée arrivant à être parfaite, qu’il avait demandé qu’on ne publiât pas ses lettres après lui. – Et pourtant qu’elles sont exquises ! Vous vous souvenez de ce qu’il m’avait dit en souriant :

« Si tu laissais faire cela, mon enfant, je sortirais de ma tombe, car lorsque je ne suis plus même capable de fumer une cigarette, j’écris une lettre. »    

Stéphane Mallarmé

         Jamais non plus pendant les heures pénibles il n’eut une défaillance vers la bohême. Sa vie simple garda toujours l’admirable tenue de dignité qu’il eut littérairement.

          Tous l’aimaient par le seul fait d’exister tel qu’il était. Son accueil était unique de cordialité affectueuse. Tant de jeunes gens qui vinrent à lui le surent. Jamais il n’en découragea aucun. Il cherchait toujours dans l’œuvre qu’on lui apportait, s’il n’existait déjà, le petit coin de talent qui pourrait luire plus tard, après le travail. La vie nous a montré la vérité de cette pensée indulgente. Parfois il disait gaminement : « Il n’y a personne qui soit complètement idiot. »         

La poésie faisait tellement partie de sa nature qu’il avait trouvé ce jeu charmant, ingénieux, l’adaptation des vers – de ceux qu’il appelait petits vers – à mille choses.

Geneviève Mallarmé, fille du poète

Vers brodés sur l’uniformité d’une étoffe tendant un mur. Vers placés au fond des différentes pièces composant un service qu’un ami peintre devait illustrer,  – ce projet si amusant allait être réalisé.

          Devises d’un sac de papillottes.

          Vers s’enroulant autour d’un mirliton.

          Quatrains d’adresses.

          Sur des éventails.

Sur les rayons d’une bibliothèque ; je trouve ceux-ci tellement parfaits que je vais vous les dire :

          Ci-gît le noble vol humain

          Cendre ployée en mille livres.

          Pour que toute tu la délivres

          Il faut en prendre un dans ta main

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