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Un mardi avec Mallarmé : Mallarmé par sa fille (suite)

Chaque mardi, rendez-vous sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le poète.

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À partir du milieu des années 1880, tous les mardis soirs, Stéphane Mallarmé reçoit des hommes de lettres et des artistes, surnommés les « mardistes ». Pour rendre hommage à ces célèbres soirées, nous vous donnons rendez-vous chaque mardi sur le site internet du musée pour découvrir un écrit sur le prince des poètes.

Mallarmé par sa fille - Partie 2

Lettre de Geneviève Mallarmé à Camille Mauclair, 5 novembre 1916.

 

      Il avait un goût si sûr. Pour tout. Vous avez vu les livres édités par lui. Il aimait un intérieur harmonieux. Le premier il rechercha les meubles anciens, n’en voulant pas d’autres, dès sa jeunesse. Seuls alors les collectionneurs y songeaient. Quand j’étais tout enfant encore il me disait : « Tu peux obtenir un joli aspect avec les choses les plus simples, avec un rien, pourvu que cela soit choisi avec goût et aille ensemble, » Il mettait un soin extrême à n’importe quel détail. Jusqu’aux adresses sur l’enveloppe, il les disposait élégamment.

La maison était toujours fleurie et jamais elle ne fut vide de quelque bestiole. Ces petites présences vivantes et naïves lui étaient nécessaires.

Geneviève Mallarmé, fille du poète

Voici pour vous faire sourire et venant en ordre : l’oiseau bleu et le bengali, la chatte angora blanche Neige et son fils blanc, Frimas ; la levrette Yseult, le lévrier kirghiz Saladin, le chat-huant Clair-de-lune, la chatte noire Lilith ; les petites perruches toutes vertes, de lignées ininterrompue, dont nous avons encore les représentants, appelés irrévérencieusement : les petits académiciens.

     Tout de suite après son mariage, en 1863, il fut envoyé à Tournon où il resta deux ans. Les années de province lui furent lourdes, car il était éloigné du centre littéraire parisien. Ensuite il alla à Besançon, un an, puis vint Avignon. Il s’y plut mieux. Le beau climat, l’accueil des félibres, bien que ceux-ci fussent l’opposé de sa nature ne se livrant pas facilement, mais ils aiment les mêmes choses que lui, l’aidèrent à supporter l’exil. Il connut Aubanel, Roumanille, Mistral. Il avait quand même la nostalgie de Paris. Ses joies furent vives du passage d’amis choyés, Henri Regnault, Glatigny, Villiers de l’Isle-Adam, Mendès.

     Il revint à Paris l’automne qui suivit la Commune et habita alors rue de Moscou. C’est là qu’il fit vers cette époque, à lui seul, un journal de mode. L’entière rédaction, chroniques, modes, recettes de gourmandise, tout venait de lui. Les numéros, peu nombreux et introuvables, sont d’aspect gracieux. Louis Morin, dessinateur de la Vie Parisienne, avait illustré la couverture. On recevait alors le Jeudi ; France, Leconte de Lisle, Cladel, Mendès, Augusta Holmès étaient les hôtes habituels.

     En 1874 on changea d’appartement et on s’installa rue de Rome. Il sortait peu, travaillait aux rares heures de liberté, puis le Jeudi, le Dimanche. Il allait cependant régulièrement aux soirées littéraires de Leconte de Lisle, à celles de Mendès, d’Augusta Holmès, puis chez Banville, maître et ami. Chaque jour aussi il entrait, en revenant le soir du lycée, dans l’atelier de Manet avec lequel il s’était très lié. Il correspondait alors régulièrement avec Swinburne.

C’est cette même année que nous allâmes pour la première fois à Valvins. Le beau pays au vaste horizon le prit tout entier. Il s’y attacha pour toujours.

Geneviève Mallarmé, fille du poète

Cette retraite de clarté et d’arbres, calme, allait à sa nature de beauté égale. Les paysages de vue bornée, même attrayants, lui déplaisaient : « Je crois, disait-il, que si j’avais un parc merveilleux j’irais toujours m’asseoir sur le banc de pierre extérieur, celui qui est de l’autre côté du mur, à la porte. » Les antiques futaies, le canot à voile qu’il conduisait lui-même, « l’aile sur la rivière » comme il disait, les couchers de soleil qu’il allait contempler à un point des coteaux voisins lui furent de belles récréations au travail. Il aimait la nature profondément.

     Je me souviens de ses joies de collégien dont s’ouvre la geôle au début de chaque vacance alors qu’on partait pour là-bas :

« Tout le monde a un pays natal, moi j’ai adopté Valvins. »

Stéphane Mallarmé

     En 77-78 il commençait à recevoir le Mardi, mais les Mardis demeurés légendaires ne datent que de 83. A ces premiers Mardis je vois Forain, Maupassant, Hennique et plus tard Gustave Kahn.

     En 79 nous eûmes l’immense peine de perdre mon petit frère, un enfant exquis de huit ans. J’étais bien jeune alors mais la douleur si profonde quoique sans fracas que je sentais en père me fit une impression inoubliable. « Hugo, disait-il, est heureux d’avoir pu parler (à propos de la mort de sa fille), moi cela m’est impossible. »

     C’est vers 1885 que toute la magie de la musique s’ouvrit pour père. Jeune il la dédaignait. On disait alors : la musique est dans le vers. Il ne voulut jamais que j’apprenne le piano – le bois sonore, comme Banville l’appela. Vous savez les choses définitives qu’a écrites père sur la musique, C… ; chaque Dimanche d’hiver il laissait – pour cela seul – une après-midi de travail afin d’aller au concert Lamoureux. « Je vais aux vêpres », nous disait-il en partant.

     Il ne borna pas ses amitiés seulement aux littérateurs, il en eut de vivaces pour Manet, Monet, Renoir, Whistler – tout-à-fait intime de la maison – Rodin.

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